Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/165

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les tentures éblouissantes, rien ne lui échappait.

Les acquisitions nouvelles du ménage lui sautaient aux yeux, se rapportant à quelque forte demande d’argent. Mais ce qu’il étudiait encore plus que tout, c’était la physionomie de Risler. Pour lui, cette femme était en train de changer son ami, le meilleur, le plus honnête des hommes, en un coquin effronté. Pas le moindre doute à garder là-dessus. Risler savait son déshonneur, il l’acceptait. On le payait pour se taire.

Certainement il y avait quelque chose de monstrueux dans une supposition pareille. Mais c’est le propre des natures candides, qui apprennent le mal sans l’avoir jamais connu, d’aller tout de suite trop loin, au-delà. Une fois convaincu de la trahison de Sidonie et de Georges, l’infamie de Risler avait semblé au caissier moins impossible à admettre. Et d’ailleurs comment s’expliquer autrement cette insouciance devant les dépenses de l’associé ?

Ce brave Sigismond, dans son honnêteté mesquine et routinière, ne pouvait pas comprendre la délicatesse de cœur de Risler. En même temps ses habitudes méthodiques de teneur de livres et sa clairvoyance commerciale étaient à cent lieues de ce caractère distrait, étourdi, moitié artiste, moitié inventeur. Il jugeait tout cela d’après lui-même, ne pouvant deviner ce que c’est qu’un homme en mal d’invention, enfermé dans une idée fixe. Ces gens-là sont des somnambules. Ils regardent sans voir, les yeux en dedans.