Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pour Sigismond, Risler y voyait.

Cette pensée rendait le vieux caissier très malheureux. Il commença par dévisager son ami, chaque fois que celui-ci entrait à la caisse ; ensuite, découragé par cette indifférence impassible qu’il croyait préméditée et voulue, plaquée sur son visage comme un masque, il finit par se détourner, cherchant dans les paperasses pour éviter ces regards faux, et ne parlant plus à Risler que les yeux fixés sur les allées du jardin ou sur l’entrecroisement du grillage. Ses paroles mêmes étaient toutes déroutées, bigles comme ses regards. On ne savait positivement plus à qui il s’adressait. Plus de sourire amical, plus de souvenirs feuilletés ensemble au livre de caisse de la fabrique.

« Voici l’année où tu es entré… ta première augmentation… Te rappelles-tu ? Nous avons été dîner chez Douix ce jour-là… Puis le soir au café des Aveugles… hein ? Quelle ribote ! »

À la longue, Risler s’aperçut du singulier refroidissement survenu entre Sigismond et lui. Il en parla à sa femme. Depuis quelque temps elle sentait celle antipathie rôder autour d’elle. Parfois, en traversant la cour, elle était comme gênée par des regards malveillants qui la faisaient se retourner nerveusement vers la niche du vieux caissier. Cette brouille des deux amis l’effraya, et bien vite elle s’arrangea pour mettre son mari en garde contre les mauvais propos de Planus :

– Vous ne voyez donc pas qu’il est jaloux de vous, de votre position… Un ancien égal devenu son supérieur,