Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/179

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Quel chagrin et quelle douceur elle avait à l’écouter parler de Sidonie, assis à ses pieds sur la chaise basse, pendant qu’elle montait ses mouches et ses oiseaux.

Tout en travaillant, elle l’encourageait, le consolait, car Sidonie avait causé bien des petits chagrins à ce pauvre Frantz avant de lui en faire un grand. Le son de sa voix quand il parlait de l’autre, l’éclat de ses yeux en y pensant, la charmaient malgré tout, si bien que quand il était parti désespéré, il avait laissé derrière lui un amour plus grand encore que celui qu’il emportait, un amour que la chambre toujours pareille, la vie sédentaire et immobile garderaient intact avec tout son parfum amer, tandis que le sien au ciel ouvert des grandes routes se dissiperait, s’évaporerait peu à peu.

… Le jour baisse tout à fait. Une immense tristesse envahit la pauvre fille, avec l’ombre de ce soir si doux. La lueur heureuse du passé diminue pour elle comme le filet de jour dans l’embrasure étroite de la fenêtre où la mère est restée accoudée.

Tout à coup la porte s’ouvre… Quelqu’un est là, qu’on ne distingue pas bien… Oui cela peut-il être ? Les dames Delobelle ne reçoivent jamais de visites. La mère, qui s’est retournée, a d’abord cru qu’on venait de leur magasin chercher l’ouvrage de la semaine.

– Mon mari vient d’aller chez vous, monsieur… Nous n’avons plus rien ici. Monsieur Delobelle a tout reporté.

L’homme s’avance sans répondre, et à mesure qu’il approche de la fenêtre, sa silhouette se dessine. C’est un grand gars solide, bronzé, la barbe épaisse et blonde, la voix forte, l’accent un peu lourd.