Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/195

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La rivière coulait tout près, encore parisienne, encombrée de chaînes, d’établissements de bains, de gros bateaux, et secouant à la moindre vague des tas de petits canots très légers, liés au port, avec la poussière du charbon sur leurs noms prétentieux et tout frais peints. De ses fenêtres, Sidonie pouvait voir les restaurants du bord de l’eau, silencieux en semaine, débordant le dimanche d’une foule bigarrée et bruyante, dont les gaietés se mêlaient aux plongeons lourds des rames et partaient des deux rives pour se rejoindre au-dessus de la rivière dans ce courant de rumeurs, de cris, d’appels, de rires, de chansons qui, les jours de fête, monte et redescend ininterrompu sur dix lieues de Seine.

En semaine, on voyait errer des gens débraillés, désœuvrés et flâneurs, des hommes en chapeaux de grosse paille larges et pointus, en vareuses de laine, des femmes qui s’asseyaient sur l’herbe usée des talus, inactives, avec l’œil qui rêve des vaches au pâturage. Tous les forains, les joueurs d’orgues, les harpistes, les saltimbanques en tournée, s’arrêtaient là comme à une banlieue. Le quai en était encombré, et les petites maisons qui le bordaient, s’ouvrant toujours à leur approche, des camisoles blanches, mal attachées, des chevelures en désordre, une pipe flâneuse se montraient aux fenêtres, guettant comme un regret de Paris tout voisin ces trivialités ambulantes.

C’était triste et laid. L’herbe à peine poussée jaunissait sous les pas. La poussière était noire ; et pourtant, chaque jeudi, la haute cocotterie passait par là, se rendant au Casino,