Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/204

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recevant ces petits bouts de lettres, ces dépêches qui lui arrivaient journellement à l’heure des repas : « Ne m’attends pas ce soir, chère amie. Je ne pourrai venir à Savigny que demain ou après-demain par le train de nuit. »

Elle mangeait tristement en face d’une place vide, et, sans se savoir trompée, sentait que son mari se déshabituait d’elle. Il était si distrait, quand une fête de famille ou quelque autre circonstance le retenait forcément à la maison, si muet sur ce qui l’occupait. Claire n’ayant plus avec Sidonie que des relations très lointaines, ne savait rien de ce qui se passait à Asnières : mais, lorsque Georges repartait pressé, souriant, elle tourmentait sa solitude de soupçons inavoués, et, comme ceux qui attendent un grand chagrin, se sentait tout à coup un vide immense au cœur, une place prête pour les catastrophes.

Son mari n’était guère plus heureux qu’elle. Cette cruelle Sidonie semblait prendre plaisir à le tourmenter. Elle se laissait faire la cour par tout le monde. En ce moment un certain Cazabon, dit Cazaboni, ténor italien de Toulouse, présenté par madame Dobson, venait tous les jours chanter des duos inquiétants. Georges, très jaloux, courait à Asnières dans l’après-midi, négligeait tout, et déjà commençait à trouver que Risler ne surveillait pas assez sa femme. Il l’aurait voulu aveugle seulement à son égard.

Ah ! s’il avait été le mari, lui, comme il vous l’aurait tenue. Mais il n’avait pas de droit sur elle, et on ne se gênait pas pour le lui dire. Quelquefois aussi,