Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/209

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ressemblait plus en rien à son ancienne fiancée, et c’eût été commettre un crime de reconnaître à un seul trait de son visage celle à qui autrefois il avait dit si souvent. « Je vous aime ».

Et maintenant c’est elle qui lui disait qu’elle l’aimait. Le malheureux justicier resta atterré, étourdi, ne trouvant pas un mot à répondre.

Elle, en face de lui, attendait…

Il faisait un de ces jours de printemps pleins de fièvre et de soleil, où la buée des anciennes pluies met comme une mollesse, une mélancolie singulières. L’air était tiède, parfumé de fleurs nouvelles qui, par ce premier jour de chaleur, embaumaient violemment comme des violettes dans un manchon. De ses hautes fenêtres entr’ouvertes, la pièce où ils étaient respirait toute cette griserie d’odeurs. Au dehors, on entendait les orgues du dimanche, des appels lointains sur la rivière, et plus près, dans le jardin, la voix amoureuse et pâmée de madame Dobson qui soupirait :

On dit que tu te maries ;
Tu sais que j’en puis mouri i i i r !…

– Oui, Frantz, je vous ai toujours aimé, disait Sidonie Cet amour, auquel j’ai renoncé autrefois parce que j’étais jeune fille, et que les jeunes filles ne savent pas ce qu’elles font ; cet amour, rien n’a pu l’effacer en moi ni l’amoindrir. Quand j’appris que Désirée vous aimait aussi, elle si malheureuse, si déshéritée, dans un grand mouvement généreux je voulus faire le bonheur