Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/215

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Et en disant l’histoire de cette malheureuse petite Zizi que la passion a rendue folle, Sidonie avait bien l’air d’une malade d’amour. Avec quelle expression déchirante, quel cri de colombe blessée elle reprenait ce refrain si mélancolique et si doux à entendre dans le patois enfantin des colonies :

C’est l’amou, l’amou qui tourne la tête à li.

Il y avait de quoi le rendre fou, lui aussi, le malheureux justicier. Eh bien, non. La sirène avait mal choisi sa romance. Voilà qu’à ce nom seul de mam’zelle Zizi, Frantz se trouvait transporté tout à coup dans une chambre triste du Marais, bien loin du salon de Sidonie, et la pitié de son cœur évoquait l’image de cette petite Désirée Delobelle qui l’aimait depuis si longtemps. Jusqu’à quinze ans, on ne l’avait jamais appelée autrement que Zirée ou Zizi, et c’était bien elle la pauv’ pitit Zizi de la chanson créole, l’amante toujours délaissée, toujours fidèle. L’autre avait beau chanter maintenant, Frantz ne l’entendait plus, ne la voyait plus. Il était là-bas auprès du grand fauteuil, sur la petite chaise basse où il avait veillé si souvent en attendant le père. Oui, le salut était là pour lui, rien que là. Il fallait se réfugier dans l’amour de cette enfant, s’y jeter à corps perdu, lui dire : « Prends-moi… sauve-moi… » Et qui sait ? Elle l’aimait tant. Peut-être qu’elle le sauverait, le guérirait de sa passion coupable.

– Où vas-tu ?… demanda Risler en voyant son frère