Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/229

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un quartier populeux, il lui revenait des souvenirs de ménages en déroute, de maris vengés, de sang éclaboussé sur les hontes de l’adultère. Des visions de mort la poursuivaient. Et la mort, l’éternel repos, le grand silence, étaient bien faits pour effrayer ce petit être affamé de plaisir, avide de bruit et de mouvement jusqu’à la folie.

Cette bienheureuse lettre mettait fin à toutes ses terreurs. Maintenant il était impossible que Frantz la dénonçât, même dans sa fureur de déconvenue, en lui sachant une arme pareille entre les mains ; d’ailleurs, s’il parlait, elle montrerait la lettre, et toutes ses accusations deviendraient pour Risler de pures calomnies. Ah ! monsieur le justicier, nous vous tenons à présent. Subitement elle fut prise d’un accès de joie folle.

– Je renais… je renais… disait-elle à madame Dobson.

Elle courait dans les allées du jardin, se fit de gros bouquets pour son salon, ouvrit les fenêtres toutes grandes au soleil, donna des ordres à la cuisinière, au cocher, au jardinier. Il fallait que la maison fût belle, Georges allait revenir, et, pour commencer, elle organisa un grand dîner pour la fin de la semaine. Vraiment on aurait dit qu’elle avait été absente pendant un mois et qu’elle revenait d’un voyage d’affaires ennuyeux et fatigant, tant elle mettait de hâte à faire autour d’elle du mouvement et de la vie.

Le lendemain, dans la soirée, Sidonie, Risler et madame Dobson étaient réunis tous les trois au salon. Pendant que le bon Risler feuilletait un gros bouquin de mécanique, madame Dobson accompagnait au piano