Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vide de nouveau et le comédien songeait aux douceurs qui allaient lui manquer.

Et dire qu’à côté de ce chagrin égoïste et de surface, il y avait une douleur vraie, immense, la douleur qui tue, et que cette mère aveuglée ne s’en apercevait pas !… Mais regarde donc ta fille, malheureuse femme. Regarde cette pâleur transparente, ces yeux sans larmes qui brillent fixement comme s’ils concentraient leur pensée et leur regard sur un objet visible à eux seuls. Fais-toi ouvrir cette petite âme fermée qui souffre, Interroge ton enfant. Fais-la parler, fais-la pleurer surtout pour la débarrasser du poids qui l’étouffe, pour que ses yeux obscurcis de larmes ne puissent plus fixer dans le vide cette horrible chose inconnue où ils s’attachent désespérément.

Hélas !… Il est des femmes en qui la mère tue l’épouse. Chez celle-là, l’épouse avait tué la mère. Prêtresse du dieu Delobelle, absorbée dans la contemplation de son idole, elle se figurait que sa fille n’était venue au monde que pour se dévouer au même culte, s’agenouiller devant le même autel. Toutes deux ne devaient avoir qu’un but dans la vie, travailler à la gloire du grand homme, consoler son génie méconnu. Le reste n’existait pas. Jamais la maman Delobelle n’avait remarqué les rougeurs subites de Désirée dès que Frantz entrait dans l’atelier, tous ses détours de fille amoureuse pour parler de lui quand même, pour faire arriver son nom à tout propos dans leurs causeries de travail, et cela depuis des années, depuis le temps lointain où Frantz partait le matin