Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/255

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couleurs, les résédas, les rosiers d’arrière-saison, embaument l’air, dressés dans un rayon de lune avec leur ombre légère autour d’eux, transportés, dépaysés, attendant le caprice de Paris endormi.

Pauvre petite Désirée ! On dirait que toute sa jeunesse, ses rares journées de joie et son amour déçu lui montent au cœur dans les parfums de ce jardin ambulant. Elle marche doucement au milieu des fleurs. Quelquefois, un coup de vent fait bruire les arbustes l’un contre l’autre comme les branches d’une futaie, et au ras des trottoirs, des bourriches pleines de plantes arrachées exhalent une odeur de terre mouillée.

Elle se rappelle la partie de campagne que Frantz lui a fait faire. Ce souffle de nature qu’elle a respiré ce jour-là pour la première fois, elle le retrouve au moment de mourir. « Souviens-toi », semble-t-il lui dire, et elle répond en elle-même : « Oh ! oui, je me souviens ».

Elle ne se souvient que trop. Arrivée au bout de ce quai paré comme pour une fête, la petite ombre furtive s’arrête à l’escalier qui descend sur la berge…

Presque aussitôt ce sont des cris, une rumeur tout le long du quai. « Vite une barque, des crocs. » Des mariniers, des sergents de ville accourent de tous les côtés. Un bateau se détache du bord, une lanterne à l’avant.

Les marchandes de fleurs se réveillent, et comme une d’elles demande en bâillant ce qui se passe, la marchande de café accroupie à l’angle du pont lui répond tranquillement :