Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/262

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l’emporter, la coucher, tout cela fut fait en un tour de main, et elle lui parlait, et elle l’embrassait.

– Enfin, c’est toi, te voilà. D’où viens-tu, malheureuse enfant ? C’est vrai, dis, que tu as voulu te tuer ?… Tu avais donc une bien grande peine ?… Pourquoi me l’as-tu cachée ?

En voyant sa mère dans cet état, brûlée de larmes, vieillie en quelques heures, Désirée se sentit prise d’un remords immense. Elle pensait qu’elle était partie sans lui dire adieu, et qu’au fond de son cœur elle l’accusait de ne pas l’aimer. – Ne pas l’aimer.

– Mais je serais morte de ta mort, disait la pauvre femme… Oh ! quand je me suis levée ce matin et que j’ai vu que ton lit n’était pas défait, que tu n’étais pas dans l’atelier non plus… J’ai fait un tour et je suis tombée roide… As-tu chaud maintenant’?… Es-tu bien ?… Tu ne feras plus ça, n’est-ce pas, de vouloir mourir ?

Et elle bordait ses couvertures, réchauffait ses pieds, la prenait sur son cœur pour la bercer. Du fond de son lit, Désirée, les yeux fermés, revoyait tous les détails de son suicide, toutes les choses hideuses par lesquelles elle avait passé en sortant de la mort. Dans la fièvre qui redoublait, dans le lourd sommeil qui commençait à la prendre, sa course folle à travers Paris l’agitait, la tourmentait encore. Des milliers de rues noires s’enfonçaient devant elle, avec la Seine au bout de chacune.

Cette horrible rivière, qu’elle ne pouvait pas trouver pendant la nuit, la poursuivait maintenant.