Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/27

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En face de la porte des Chèbe, dont le bouton de cuivre luisait bourgeoisement sur le carré, il s’en ouvrait deux autres plus petites.

Sur la première, une carte de visite fixée par quatre clous, selon l’habitude des artistes industriels, portait le nom de « Risler, dessinateur de fabrique ». L’autre avait une petite plaque de cuir bouilli et cette suscription en lettres dorées :

MESDAMES DELOBELLE
OISEAUX ET MOUCHES POUR MODES.

La porte des Delobelle était souvent ouverte et montrait une grande pièce carrelée où deux femmes, la mère et la fille presque une enfant, aussi pâles, aussi fatiguées l’une que l’autre, travaillaient à un de ces mille petits métiers fantaisistes dont se compose ce qu’on appelle l’article de Paris.

C’était alors la mode d’orner les chapeaux, les robes de bal avec ces jolies bestioles de l’Amérique du Sud, aux couleurs de bijoux, aux reflets de pierres précieuses. Les dames Delobelle avaient cette spécialité.

Une maison de gros, à qui les envois arrivaient directement des Antilles, leur adressait, sans les ouvrir, de longues caisses légères, dont le couvercle en s’arrachant laissait monter une odeur fade, une poussière d’arsenic, où luisaient les mouches empilées, piquées d’avance, les oiseaux serrés les uns contre les autres, les ailes retenues par une bande de papier fin. Il fallait monter tout cela, faire trembler les mouches sur des fils