Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/276

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comme vous êtes, il vous serait facile… Monsieur Risler aîné ne demanderait pas mieux, je suis sûre…

Elle parlait lentement, avec effort, cherchant ses mots, mettant entre chaque phrase de grands silences qu’elle espérait toujours voir remplir par un geste, une exclamation de son père. Mais le comédien ne comprenait pas. Il l’écoutait, la regardait avec ses gros yeux arrondis, sentant vaguement que de cette conscience d’enfant, innocente et inexorable, une accusation se levait contre lui ; il ne savait pas encore laquelle.

– Je crois que vous feriez bien, reprit Désirée timidement, je crois que vous feriez bien de renoncer…

– Hein ?… quoi ?… comment ?…

Elle s’arrêta en voyant l’effet de ses paroles. La figure si mobile du vieux comédien s’était crispée tout à coup, sous l’impression d’un violent désespoir ; et des larmes, de vraies larmes qu’il ne songeait même pas à dissimuler d’un revers de main comme on fait à la scène, gonflaient ses paupières sans couler, tellement l’angoisse le serrait à la gorge. Le malheureux commençait à comprendre… Ainsi, des deux seules admirations qui lui fussent restées fidèles, une encore se détournait de sa gloire Sa fille ne croyait plus en lui ! Ce n’était pas possible. Il avait mal compris, mal entendu… À quoi ferait-il bien de renoncer, voyons, voyons ?… Mais devant la prière muette de ce regard qui lui demandait grâce, Désirée n’eut pas le courage d’achever. D’ailleurs la pauvre enfant était à bout de force et de vie. Elle murmura deux ou trois fois :

– De renoncer… de renoncer…