Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/287

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d’une cheminée à l’autre, en glissant sur la crête des toits.

Son public est si nombreux, à ce damné petit homme. Il y a tant de commerçants à Paris, tant de gens qui ont une fin de mois, tant de malheureux qui ont signé un billet à ordre ou mis le mot « accepté » en travers d’une lettre de change. À tout ce monde-là, l’homme bleu jetait en passant son cri d’alarme. Il le jetait au-dessus des fabriques à cette heure éteintes et muettes, au-dessus des grands hôtels de la finance, endormis dans le silence luxueux de leurs jardins, au-dessus de ces maisons à cinq, six étages, de ces toits inégaux, disparates, amoncelés au fond des quartiers pauvres. « L’échéance !… l’échéance ! » D’un bout à l’autre de la ville, dans cette atmosphère de cristal que font sur les hauteurs le grand froid et la lune claire, la petite voix stridente sonnait impitoyablement. Partout sur son passage elle chassait le sommeil, réveillait l’inquiétude, fatiguait la pensée et les yeux, et, du haut en bas des maisons parisiennes, faisait courir comme un vague frisson de malaise et d’insomnie.

Pensez ce que vous voudrez de cette légende ; voici dans tous les cas ce que je puis vous assurer pour appuyer le récit de mon poète, c’est qu’une nuit vers la fin de janvier, le vieux caissier Sigismond, de la maison Fromont jeune et Risler aîné, fut réveillé en sursaut dans son petit logis de Montrouge par la même voix taquine, le même grincement de chaînette suivi de ce cri fatal :

L’échéance !