Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

larges ne l’amenaient pas où il voulait : au contraire, ils l’éloignaient de son idée, et croyant voir de l’étonnement dans les yeux des gens qui l’écoutaient, il acheva de s’égarer, bégaya, perdit la tête, puis en dernière ressource prit son chapeau et fit mine de s’en aller. À la porte il se ravisa subitement :

– Ah ! au fait, puisque je suis là.

Et il avait un petit clignement d’yeux qu’il croyait malin et qui n’était que navrant.

– Puisque je suis là, si nous liquidions un peu ce vieux compte.

Les deux frères, la jeune femme assise au comptoir se regardèrent une seconde, sans comprendre :

– Des comptes ? Quels comptes donc ?

Puis tous les trois se mirent à rire en même temps, et de bon cœur, comme d’une plaisanterie un peu forte du vieux caissier. Sacré père Planus, va !… C’est qu’il riait, lui aussi, le vieux ! Il riait sans en avoir envie, pour faire comme les autres. Enfin, on s’expliqua. Fromont jeune était venu lui-même, six mois auparavant, chercher l’argent resté entre leurs mains. Sigismond se sentit fléchir. Il eut pourtant assez de courage pour répondre :

– Tiens ! c’est vrai. Je l’avais oublié… Ah ! décidément, Sigismond Planus se fait vieux… Je baisse, mes enfants, je baisse…

Et le brave homme s’en alla en essuyant ses yeux, où perlaient encore de grosses larmes de cette bonne partie de rire qu’il venait de faire. Derrière lui les jeunes