Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/304

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devant son argent. Quand les Fromont se réjouissaient en sa présence de l’heureuse tournure que leurs affaires commençaient à prendre, son petit œil bleu, matois et fin souriait ironiquement et il avait un « tout ça se verra au bout » dont l’intonation faisait frissonner. Parfois aussi, le soir, à Savigny, alors que le parc, les avenues, les ardoises bleues du château, les briques roses des écuries, les étangs, les pièces d’eau resplendissaient, baignés de la gloire dorée d’un beau soleil couchant, cet étrange parvenu, après un regard circulaire, disait tout haut devant ses enfants : – Ce qui me console de mourir un jour, c’est que personne dans la famille ne sera assez riche pour garder un château qui coûte cinquante mille francs d’entretien par an.

Pourtant, avec cette tendresse de regain que les grands-pères, même les plus secs, trouvent au fond de leur cœur, le vieux Gardinois aurait volontiers choyé sa petite-fille. Mais Claire, tout enfant, avait eu une invincible antipathie pour la dureté de cœur, l’égoïsme glorieux de l’ancien paysan. Puis, quand l’affection ne met pas de liens entre ceux que les différences d’éducation séparent, l’antipathie s’accroît de mille nuances. Au moment du mariage de Claire avec Georges, le bonhomme avait dit à madame Fromont :

– Si ta fille veut, elle aura de moi un cadeau princier ; mais il faut qu’elle le demande.

Et Claire n’avait rien eu, n’ayant rien voulu demander. Quel supplice de venir, trois ans après cela, implorer