Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/308

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Il lui en fallut du courage pour ne pas se troubler, pour ne pas s’interrompre devant ce regard clair qui la fixait, animé dès les premiers mots d’une joie méchante, devant cette bouche féroce dont les coins arrêtés semblaient clos par le mutisme voulu, l’entêtement, la négation de toute sensibilité. Elle alla d’un trait jusqu’au bout, respectueuse sans humilité, cachant son émotion, assurant sa voix à force de vérité dans son récit. Vraiment, à les voir ainsi l’un en face de l’autre, lui froid, tranquille, allongé dans son fauteuil, les mains dans les poches de son gilet de molleton gris, elle attentive aux moindres mots qu’elle prononçait, comme si chacun eût eu le pouvoir de la condamner ou de l’absoudre, jamais on n’aurait dit une enfant devant son grand-père ; mais bien une prévenue devant son juge d’instruction.

Sa pensée à lui était toute à la joie, à l’orgueil de son triomphe. Les voilà donc enfin vaincus, ces fiérots de Fromont ! On en avait donc encore besoin de ce vieux Gardinois ! La vanité, sa passion dominante, débordait malgré lui dans toute son attitude. Quand elle eut fini, il prit la parole à son tour, commença naturellement par des « j’en étais sûr… je l’avais dit… je savais bien que tout ça se verrait au bout… » et continua sur le même ton banal et blessant, pour terminer en déclarant que, « vu ses principes bien connus dans la famille », il ne prêterait pas un sou.

Alors Claire parla de son enfant, du nom de son mari, qui était en même temps le nom de son père et que la faillite allait déshonorer. Le vieux resta aussi froid,