Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/360

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sans tristesse. Madame Chorche était toujours présente, attentive à le soigner, à le consoler ; et Frantz lui écrivait souvent, sans jamais lui parler de Sidonie, par exemple. Risler pensait que quelqu’un l’avait mis au courant des malheurs survenus, et il évitait, lui aussi, dans ses lettres, toute allusion à ce sujet. « Oh ! quand je pourrai le faire revenir. » C’était son rêve, sa seule ambition : relever la fabrique et rappeler son frère.

En attendant, les journées se succédaient pour lui toujours pareilles, dans le bruit actif du commerce et la solitude navrante de sa douleur. Chaque matin il descendait, parcourait les ateliers, où le profond respect qu’il inspirait, sa physionomie sévère et silencieuse avaient rétabli l’ordre un instant troublé. Dans les commencements on avait beaucoup jasé, et différemment commenté le départ de Sidonie. Les uns disaient qu’elle s’était enfuie avec un amant, les autres que Risler l’avait chassée. Ce qui déroutait toutes les prévisions, c’était l’attitude des deux associés vis-à-vis l’un de l’autre, aussi naturelle qu’auparavant. Quelquefois pourtant, quand ils se parlaient seul à seul dans le bureau, Risler avait tout à coup un soubresaut, comme une vision de l’adultère passé. Il songeait que ces yeux qu’il avait là devant lui, cette bouche, tout ce visage lui avait menti dans ses mille expressions.

Alors une envie le prenait de sauter sur ce misérable, de le saisir à la gorge, de l’étrangler sans pitié ; mais la pensée de madame Chorche était toujours là pour le retenir. Serait-il moins courageux, moins maître de lui que cette jeune femme ?… Ni Claire, ni Fromont, personne