Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/49

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Quelquefois pourtant, vers le jour de l’an, elle était obligée de veiller avec les autres pour finir les commandes pressées. Sous la lueur du gaz, ces Parisiennes pâles, triant des perles blanches comme elles, d’un blanc maladif et mat, faisaient peine à voir. C’était le même éclat factice, la même fragilité de bijoux faux. Elles ne parlaient que de bals masqués, de théâtres. « As-tu vu Adèle Page dans les Trois Mousquetaires ?… Et Melingue ? Et Marie Laurent ?… Oh ! Marie Laurent !… » Les pourpoints des acteurs, les robes brodées des reines de mélodrame leur apparaissaient dans le reflet blanc des colliers qu’elles roulaient sous leurs doigts.

L’été, l’ouvrage allait moins fort. C’était la morte-saison. Alors pendant la grande chaleur, lorsque derrière les persiennes fermées on entendait crier par les rues les mirabelles et les reines-Claude, les ouvrières s’endormaient lourdement, la tête sur la table. Ou bien Malvina allait dans le fond demander une livraison du Journal pour tous à mademoiselle Le Mire, et elle en faisait la lecture aux autres à haute voix.

Mais la petite Chèbe n’aimait pas les romans. Elle en portait un dans sa tête bien plus intéressant que tous ceux-là C’est que rien n’avait pu lui faire oublier la fabrique. En partant le matin au bras de son père, elle jetait toujours un coup d’œil de ce côté. À ce moment, l’usine s’éveillait. La cheminée poussait là-haut son premier jet de fumée noire. Sidonie, en passant, entendait les