Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/58

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ne venaient pas, puis la peur le prenait. Pour parler il se donnait des limites.

« Quand nous aurons passé la porte Saint-Denis… Quand nous aurons quitté le boulevard. »

Mais là Sidonie se mettait à causer de choses, tellement indifférentes que sa déclaration se gelait sur ses lèvres, ou bien ils étaient arrêtés par une voiture qui donnait aux parents le temps de les rejoindre.

Enfin, dans le Marais, il se décida tout à coup :

– Écoutez-moi, Sidonie… Je vous aime…

Cette nuit-là, on avait veillé fort tard chez les Delobelle. C’était l’habitude de ces courageuses femmes de faire la journée de travail aussi longue que possible, de la prolonger si avant dans la nuit que leur lampe était une des dernières éteintes de la tranquille rue de Braque. Pour se coucher elles attendaient le retour du grand homme, à qui on gardait bien au chaud, dans les cendres du foyer, un petit souper réconfortant.

Au temps où il jouait, cela avait une raison d’être : les comédiens, obligés de dîner de bonne heure et très légèrement, sortent de scène avec des fringales terribles et mangent en rentrant chez eux. Delobelle, lui, ne jouait plus depuis longtemps ; mais n’ayant pas le droit, comme il disait, de renoncer au théâtre, il entretenait sa manie par une foule d’habitudes de cabotin, et le souper du retour en faisait partie, comme sa rentrée quotidienne, après que la dernière de toutes les rampes de théâtre du boulevard avait éteint son gaz.