Page:Daudet - Jack, I.djvu/136

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vent qu’il n’était nécessaire pour voir son petit Jack, elle se trouvait en face de d’Argenton, c’était toujours avec la même attitude humiliée, la même voix timide qui demandait grâce.

Le poëte, de son côté, même après sa visite au boulevard Haussmann, continua à jouer sa comédie d’indifférence ; mais cela ne l’empêchait pas de choyer l’enfant en secret, de l’attirer près de lui, de le faire causer sur sa mère, sur cet intérieur dont l’élégance l’avait séduit en l’indignant, par un mélange de vanité et de jalousie amoureuse.

Que de fois, pendant la classe de littérature, — quelle littérature pouvait donc les intéresser, ces « petits pays chauds ! » — que de fois il appelait Jack près de sa table pour le questionner… Comment allait sa mère ? Qu’est-ce qu’elle faisait ? Qu’avait-elle dit ?

Jack, très flatté, donnait tous les renseignements qu’on lui demandait, même ceux qu’on ne lui demandait pas. C’est ainsi qu’il introduisait toujours la pensée de « bon ami » dans ces causeries intimes, pensée qui hantait d’Argenton, qu’il essayait d’éloigner, et que ce bambin bouclé, avec sa petite voix câline, lui précisait sans cesse, impitoyablement. « Bon ami était si bon, si complaisant… Il venait souvent les voir, oh ! mais très souvent ; et quand il ne venait pas, il envoyait de là-bas des paniers pleins de beaux fruits, des poires grosses comme ça, des joujoux pour le petit Jack… Aussi Jack l’aimait de tout son cœur, allez ! »