Page:Daudet - Jack, I.djvu/162

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Il savait depuis longtemps qu’il n’avait pas de père, qu’il portait un nom qui n’était pas le sien, que sa mère n’avait pas de mari ; cela servait de point de départ à ses réflexions inquiètes. Des susceptibilités lui venaient. Un jour, le grand Saïd l’ayant appelé « enfant de cocotte, » au lieu d’en rire comme autrefois, il se précipita au cou de l’Égyptien en lui faisant un garrot de ses petites mains crispées, au risque de l’étrangler. Aux hurlements de Saïd, Moronval accourut, et, pour la première fois depuis son entrée au gymnase, le petit de Barancy fit connaissance avec la matraque.

À partir de ce jour-là, le charme fut rompu. Le mulâtre ne se retint plus dans ses élans de correction ; taper sur un blanc lui paraissait si bon ! Maintenant, pour que le sort de Jack fût tout à fait semblable à celui de Mâdou, il ne lui manquait plus que de passer à la cuisine. N’allez pas croire au moins que, dans cette révolution du gymnase, la destinée du petit roi se fût améliorée. Au contraire, il était plus que jamais le souffre-douleur de toutes les ambitions déçues. Labassindre le bourrait de coups de pied, le docteur Hirsch continuait à lui allonger les oreilles, et le Père au bâton lui faisait payer cher l’effondrement de sa Revue.

« Jamais contents, jamais contents, » répétait le malheureux petit nègre, harcelé par les exigences tyranniques de ses maîtres. À son découragement se joignait un état singulier de nostalgie causé par la saison nouvelle, le retour si troublant de la chaleur et