Page:Daudet - Jack, I.djvu/238

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Songez donc ! Habiter un pavillon Louis XV à la lisière d’une forêt, dans ce beau pays d’Étiolles auquel le souvenir de la Pompadour se rattache par des liens de rubans roses et des agrafes de diamants ; avoir tout ce qu’il faut pour devenir poëte et grand poëte, une maîtresse adorée, charmante, à qui ce nom romantique de Charlotte allait si bien, une chaire Henri II pour favoriser l’étude sévère et recueillie, une petite chèvre blanche appelée Dalti, qui le suivait dans ses promenades, et, pour compter les heures de ces heureuses journées, un vieux cartel sur émail dont la sonnerie douce et profonde semblait sortir du passé, évoquer des images mélancoliques des temps évanouis.

C’était trop, beaucoup trop ; et le malheureux rimeur se sentait aussi stérile, aussi dénué d’inspiration que lorsqu’après avoir donné des leçons tout le jour il s’enfermait le soir dans son garni.

Oh ! les longues heures de pipe, de flânerie sur le divan, les stations aux fenêtres, l’ennui…

Quand le pas de Charlotte retentissait dans l’escalier, vite il se mettait à sa table, la figure absorbée, crispée, les yeux perdus dans une absence d’expression qui pouvait être aussi bien de la rêverie.

— Entrez, criait-il au coup timide frappé à la porte.

Elle entrait, fraîche, gaie, ses beaux bras nus à l’air sous ses manches relevées, et si champêtre que la