Page:Daudet - Jack, I.djvu/239

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poudre de riz jetée sur sa figure semblait la farine échappée de quelque moulin d’opéra comique.

— Je viens voir mon poëte, disait-elle en entrant.

Elle avait une façon de prononcer poète « pouâte, » qui l’agaçait :

— Eh ! bien, ça marche-t-il ?… Es-tu content ?…

— Content ?… Est-ce que dans ce terrible métier des lettres qui est un perpétuel effort de l’esprit, on peut être jamais content ?

Il s’emportait, sa voix devenait ironique.

— C’est vrai, mon ami… seulement je voulais savoir si ta Fille de Faust

— Eh bien ! quoi ! ma Fille de Faust ?… Sais-tu combien Gœthe a mis d’années pour son Faust, lui ?… Dix ans !… Et encore il vivait en pleine communication artistique, dans un milieu intellectuel. Il n’était pas condamné comme moi à la solitude de la pensée, la pire des solitudes, qui vous mène à l’inaction, à la contemplation, au néant de toute idée.

La pauvre femme écoutait sans répondre. À force d’entendre répéter les mêmes phrases à d’Argenton, elle avait compris quels reproches elles contenaient à son adresse. Le ton du poëte signifiait : « Ce n’est pas toi, pauvre bête, qui me remplaceras le milieu qui me manque, ce frottement de l’esprit d’où jaillit l’étincelle… » Le fait est qu’il la trouvait stupide et s’ennuyait avec elle comme quand il était seul.

Sans qu’il s’en rendît bien compte, ce qui l’avait