Page:Daudet - Jack, I.djvu/262

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dîneurs avec les derniers rayons obliques, flamboyants, du soleil contre les vitres.

— Sapristi, mes enfants, que vous êtes bien ici ! fit Labassindre tout à coup, quand, le potage avalé d’un grand appétit, chacun reprit la liberté de ses pensées.

— Le fait est que nous sommes bien heureux, dit d’Argenton en pressant la main de Charlotte, qu’il trouvait autrement jolie et séduisante depuis qu’il n’était plus seul à la regarder ; et il se mit à faire la description de leur bonheur.

Il raconta les promenades en forêt, les courses en bateau, les haltes aux vieilles auberges du bord de l’eau, anciens relais de coche avec des rampes intérieures en fer ouvragé et les deux gros anneaux du coche enfoncés et rouillés dans la pierre de la façade. Et les longues après-midi de travail dans les grands silences d’été, et les veillées au coin du feu, à l’automne, quand il commence à faire frais, et que la flamme pétille, monte haut, alimentée de racines et de souches.

Il le disait comme il le pensait à ce moment, et elle aussi se figurait avoir vécu de cette vie idéale pendant le temps d’ennui mortel qu’ils avaient si péniblement traversé. Les deux autres écoutaient avec une grimace indicible d’admiration, d’envie, de plaisir, quelque chose d’amer et de blafard dans leur sourire où se contredisaient les yeux pleins d’affabilité et la bouche tordue par un dépit convulsif.