Page:Daudet - Jack, I.djvu/299

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tures mangées par le soleil imprégnées de la fumée des pipes, le divan algérien crevé, la table en chêne fendue en maint endroit, l’encrier boueux, les plumes rouillées, disaient que les discussions et la flâne avaient apporté là cette banalité qui erre dans les salles d’estaminet.

Seule la chaire Henri II trônait toujours au milieu de ces débris avec une immuable autorité. C’est là que d’Argenton était assis pour recevoir l’enfant, tandis que Labassindre et le docteur Hirsch se tenaient debout à ses côtés comme des assesseurs de justice et que les visiteurs de la semaine, le neveu de Berzélius et deux ou trois autres barbes grises s’étalaient sur le canapé entouré d’un nuage de fumée.

Jack vit tout cela en un clin d’œil, le tribunal, le juge, les témoins, et sa mère, là-bas, debout à une fenêtre ouverte, qui semblait regarder au loin très fixement dans la campagne, comme pour détacher son attention, sa responsabilité de ce qui allait se passer.

— Viens çà, mignot, dit le poëte, à qui sa chaire en vieux chêne donnait parfois des velléités de « viel langaige, » viens çà.

Sa voix, dans ces intonations précieuses, conservait une telle dureté de timbre, une telle inflexibilité de forme qu’on eût pu croire que c’était le fauteuil Henri II lui-même qui parlait.

— Je te l’ai dit bien des fois, enfant : la vie n’est pas un roman. Tu as pu t’en rendre compte en me