Page:Daudet - Jack, I.djvu/306

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— Vous pouvez parler, docteur, dit froidement d’Argenton.

Debout, en face de la table, l’autre commença :

— Jack vient de m’apprendre que vous allez le mettre en apprentissage aux forges d’Indret. Est-ce sérieux, voyons ?

— Très sérieux, mon cher docteur.

— Prenez garde, reprit M. Rivals en se contenant, cet enfant-là n’a pas été élevé pour un métier aussi dur. En pleine croissance, vous allez le jeter dans un élément nouveau, une atmosphère nouvelle. C’est sa santé, c’est sa vie que vous jouez. Il n’a rien de ce qu’il faut. Il n’est pas assez fort.

— Ah ! permettez, mon cher confrère… interrompit solennellement le docteur Hirsch.

M. Rivals haussa les épaules et continua, sans même le regarder :

— C’est moi qui vous le dis, Madame. (Il affectait de s’adresser à Charlotte que cet appel à ses sentiments refoulés embarrassait singulièrement.) Il n’est pas possible que votre enfant résiste à une existence pareille. Vous le connaissez bien, vous, sa mère. Vous savez que c’est une nature fine, délicate, sans résistance contre la fatigue. Et je ne parle ici que de la peine physique. Mais croyez-vous qu’un enfant aussi bien doué, dont l’esprit déjà ouvert est préparé à toutes les études, ne souffrira pas mille morts dans cet anéantissement forcé, ce sommeil de toutes ses