Page:Daudet - Jack, I.djvu/311

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La condition du travailleur n’est plus ce qu’elle était autrefois ; oh ! mais plus du tout, du tout. Vous savez bien que le tour de l’ouvrier est venu maintenant. La bourgeoisie a fait son temps, la noblesse aussi. Quoique cependant la noblesse… Et puis enfin, à votre âge, est-ce qu’il n’est pas plus simple de se laisser guider par les personnes qui vous aiment et qui ont de l’expérience ?

Un sanglot de son enfant l’interrompit :

— Alors tu me chasses, toi aussi, tu me chasses ?

Cette fois, la mère n’y tint plus. Elle le prit dans ses bras, l’étreignit passionnément :

— Moi, te chasser ? Est-ce que tu le crois ? Est-ce que c’est possible ? Allons, calme-toi, ne tremble pas, ne t’émeus pas ainsi. Tu sais combien je t’aime, et que si cela ne dépendait que de moi, nous ne nous quitterions jamais. Mais il faut être raisonnable et songer un peu à l’avenir… Hélas ! il est bien sombre pour nous, l’avenir.

Et dans un de ces débordements de paroles comme elle en avait encore quelquefois loin du maître, elle essaya d’expliquer à Jack avec toutes sortes d’hésitations, de réticences, ce que leur position dans la vie avait d’irrégulier.

— Vois-tu, mon chéri, tu es encore bien jeune ; il y a des choses que tu ne peux pas comprendre. Un jour, quand tu seras plus grand, je t’apprendrai le secret de ta naissance ; un vrai roman, mon cher ! Un jour