Page:Daudet - Jack, I.djvu/331

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l’immobilité de cette belle soirée de juillet. Les halles silencieuses évaporaient leurs odeurs de forge. La vapeur sifflait aux ruisseaux, la sueur coulait sur tous les fronts, et le halètement que Jack entendait tout à l’heure, se taisait pour faire place au souffle retrouvé par ces deux mille poitrines d’hommes épuisés de tout l’effort de la journée.

En passant parmi la foule, Labassindre fut vite reconnu.

— Tiens ! cadet. Comment ça va ?

On l’entourait, on lui donnait de grosses poignées de mains, on se disait des uns aux autres.

— Voilà le frère de Roudic, celui qui gagne cent mille francs par an rien qu’à chanter.

Tout le monde voulait le voir ; car c’était une des légendes de l’usine cette fortune présumée de l’ancien forgeron, et depuis son départ, plus d’un jeune compagnon avait tâté au fond de son gosier pour voir si la note, la fameuse note à millions, ne s’y trouverait pas par hasard.

Au milieu de ce cortége d’admirations que son costume théâtral enflammait encore, le chanteur marchait la tête levée, parlant haut, riant fort, lançant des « bonjour, père chose ! bonjour, mère une telle ! » aux maisonnettes égayées de figures de femmes, aux cabarets, aux rôtisseries qui emplissaient cette partie d’Indret où s’installaient aussi des forains de toutes sortes, étalant leurs marchandises en plein air, des blouses,