Page:Daudet - Jack, I.djvu/352

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partout dans Indret ; mais le camelot n’y était plus. Le lendemain, le surlendemain, personne. Peu à peu cette laide vision qui lui rappelait tant de belles choses se retira de sa mémoire, lentement, difficilement, du pas trébuchant dont elle allait par les chemins. Ensuite il retomba dans sa solitude.

À l’atelier, ils ne l’aimaient pas. Toute réunion d’hommes a besoin d’un souffre-douleur, d’un être sur qui se déversent les ironies, les impatiences nerveuses de la fatigue. Jack tenait cet emploi dans la halle de forge. Les autres apprentis, presque tous nés à Indret, des fils ou des frères d’ouvriers, étant plus protégés, étaient aussi plus épargnés ; car ces persécutions sans réplique s’adressent aux faibles, aux inoffensifs, aux innocents. Personne ne le défendait, lui. Le « contre-coup » le trouvant décidément trop chéti, avait renoncé à s’en occuper et le livrait aux caprices tyranniques d’une salle entière. D’ailleurs, qu’était-il venu faire à Indret ce Parisien délicat qui ne parlait pas comme tout le monde, qui disait aux compagnons : « Oui, monsieur… merci, monsieur… » On avait tant vanté ses dispositions pour la « manique. » Mais l’Aztec n’y entendait rien de rien. Il ne savait seulement pas poser un rivet. Bientôt le mépris excita chez ces gens-là une sorte de cruauté froide, la revanche de la force sur la faiblesse intelligente. Pas un jour ne se passait sans qu’on lui fit quelque misère. Les apprentis surtout étaient féroces. Une fois l’un d’eux lui présenta un