Page:Daudet - Jack, I.djvu/361

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temps en temps, troublé de cette idée, pour montrer qu’il écoutait, qu’il ne dormait pas, il parlait tout haut comme dans un rêve. Il avait même adopté un mot pour cette attention simulée, un « c’est étonnant !… » mal articulé qui arrivait aux passages les plus ordinaires et ne servait qu’à mieux prouver l’absence complète de son esprit.

C’est qu’aussi ils n’étaient ni bien amusants ni bien compréhensibles, les « bouquins » dont M. Rivals avait bourré la caisse de l’ami Jack. Des traductions de poëtes anciens, les lettres de Sénèque, les vies de Plutarque, un Dante, un Virgile, un Homère, quelques livres d’histoire, et c’était tout. Bien souvent l’enfant lisait sans comprendre, mais il s’acharnait à continuer, stimulé par la promesse qu’il avait faite et la persuasion que les livres l’empêcheraient de descendre trop bas, au niveau de tout ce qui l’entourait. Il lisait courageusement, pieusement, espérant toujours voir quelque lumière jaillir d’entre les lignes obscures, avec la ferveur de la bonne femme qui suit sa messe dans le latin.

Celui de tous ses livres qu’il préférait, qu’il lisait le plus souvent, c’était l’Enfer de Dante. La description de tous ces supplices l’impressionnait. Elle se mêlait dans son imagination d’enfant au spectacle qu’il avait chaque jour sous les yeux. Ces hommes demi-nus, ces flammes, ces grandes fosses de la fonderie où le métal en fusion coulait en nappe sanglante, il les voyait