Page:Daudet - Jack, II.djvu/109

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obligé de s’accrocher pour ne pas tomber et d’abandonner tout de suite les objets incandescents auxquels il essayait de se retenir.

Il travaillait pourtant avec tout son courage ; mais, au bout d’une heure de ce supplice ardent, il se sentit aveuglé, sourd, sans haleine, étouffé par le sang qui montait, les yeux troubles sous les cils brûlés. Il fit ce qu’il voyait faire aux autres, et, tout ruisselant, s’élança sous la « manche à air » long conduit de toile où l’air extérieur tombe, se précipite du haut du pont par torrents… Ah ! que c’était bon… Presque aussitôt, une chape de glace s’abattit sur ses épaules. Ce courant d’air meurtrier avait arrêté son souffle et sa vie.

— La gourde ! cria-t-il d’une voix rauque au chauffeur qui lui avait offert à boire.

— Voilà, camarade. Je savais bien que tu y viendrais.

Il avala une énorme lampée. C’était de l’alcool presque pur ; mais il avait tellement froid que le trois-six lui parut aussi fade et insipide que l’eau claire. Quand il eut bu, il lui vint un grand bien-être de chaleur intérieure communiquée à tous ses nerfs, à tous ses muscles, et qui s’exaspéra ensuite en brûlure vive au creux de l’estomac. Alors, pour éteindre ce feu qui le brûlait, il recommença à boire. Feu dedans et feu dehors, flamme sur flamme, alcool sur charbon, c’est ainsi désormais qu’il allait vivre !

Il commençait un rêve fou d’ivresse et de torture