Page:Daudet - Jack, II.djvu/115

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— C’est un Américain qui s’est jeté sur nous… Nous coulons… Sauve qui peut !

Mais en haut de l’échelle étroite vers laquelle chauffeurs et mécaniciens se précipitent, le Moco apparaît tout debout, le revolver au poing :

— Le premier qui sort d’ici, je lui casse la gueule. À la chauffe, tron de Diou ! et chauffez ferme. La terre n’est pas loin. Nous pouvons encore arriver.

Chacun retourne à son poste et s’active avec la furie du désespoir. Dans la chambre de chauffe, c’est terrible. Les fourneaux, chargés à éclater, renvoient une fumée de charbon mouillé, aveuglante, jaune, puante, étouffante, qui asphyxie les travailleurs pendant que l’eau, montant toujours malgré les pompes, glace tous leurs membres. Oh ! qu’ils sont heureux ceux qui vont mourir là-haut, au grand air du pont. Ici c’est la mort noire, entre deux grands murs de fonte ; une mort qui ressemble à un suicide, tellement les forces paralysées sont obligées de s’abandonner devant elle.

C’est fini. Les pompes ne vont plus. Les fourneaux sont éteints. Les chauffeurs ont de l’eau jusqu’aux épaules, et cette fois c’est le Moco lui-même qui a crié d’une voix de tonnerre : « … Sauve qui peut, mes petits ! »