Page:Daudet - Jack, II.djvu/136

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faire connaître son père à un grand garçon de vingt ans, en âge de tout entendre et de tout comprendre.

— Il s’appelait d’un des plus grands noms de France, mon enfant, d’un nom que toi et moi nous porterions aujourd’hui, si une catastrophe subite, épouvantable, n’était venue l’empêcher de réparer sa faute… Ah ! nous étions bien jeunes quand nous nous sommes rencontrés… C’était, je m’en souviens, à une grande battue de sangliers dans les ravins de la Chiffa. Il faut te dire que j’avais à cette époque la passion de la chasse. Je me rappelle même que je montais un petit cheval arabe appelé Soliman, un vrai petit diable…

Elle était partie, la folle, partie à bride abattue sur son cheval arabe appelé Soliman, à travers ce pays des chimères qu’elle peuplait de tous les lords Peambock, de tous les rajahs de Singapore de son imagination éblouissante.

Jack n’essaya pas de l’interrompre ; il savait trop bien que c’était inutile. Mais quand elle s’arrêta pour prendre haleine, suffoquée par le vent, la rapidité de sa course, il profita de cette courte halte pour revenir à sa première question et fixer, par un mot bien positif, cet esprit si prompt aux écarts :

— Quel est le nom de mon père ? répéta-t-il.

Oh ! le regard étonné de ses yeux clairs… Elle avait complétement oublié de quoi ils parlaient.