Page:Daudet - Jack, II.djvu/162

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avec un air d’assurance et de fierté tranquille qu’on ne lui connaissait pas.

— Ah !… fit d’Argenton.

Il se recueillit une seconde pour lui décocher cette petite phrase :

— Allons, je vois avec plaisir que tu as les jambes en meilleur état que les bras.

— Voilà un mot féoce… ricana le mulâtre.

Le poëte sourit modestement ; et, content de son effet, s’en alla suivi de son escorte obséquieuse, en file, le long des quais.

Huit jours auparavant, le mot cruel de d’Argenton aurait glissé sur l’abrutissement de Jack ; mais depuis la veille il n’était plus le même. Quelques heures avaient suffi pour le rendre fier et susceptible, si bien qu’après l’outrage reçu il eut envie de s’en retourner à pied comme il était venu, sans même voir sa mère ; mais il avait à lui parler, à lui parler sérieusement. Il monta.

L’appartement était tout bouleversé ; Jack trouva des tapissiers en train d’installer des tentures, de poser des bancs, comme pour une distribution de prix. On donnait le jour même une grande fête littéraire où toute la banlieue des arts et des lettres devait être réunie ; et voilà pourquoi d’Argenton avait été si furieux de voir arriver le fils de Charlotte. Celle-ci ne parut pas enchantée non plus. En l’apercevant, elle s’arrêta au milieu de son coup de feu de maîtresse de