Page:Daudet - Jack, II.djvu/179

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lons d’écume, et sur tout cela le soleil qui montait dans une brume dorée à côté d’un mince croissant blanc mettant dans cette belle journée la menace des nuits plus longues et des feux de bonne heure allumés.

En effet, ce jour si beau fut bien court, du moins Jack le trouva bien court. Il ne quitta pas Cécile d’une minute, eut tout le temps devant les yeux son chapeau de paille à bords étroits, sa jupe de percale fleurie, et son panier qu’il emplissait des plus belles grappes soigneusement cueillies, entourées de cette buée fraîche, fragile comme la poussière des papillons, qui fait le grain transparent à la façon d’un verre dépoli. Ils regardaient ensemble cette fleur du fruit ; et quand Jack relevait les yeux, il admirait sur les joues de son amie, au coin de ses tempes, de ses lèvres, un duvet pareil, une poudre aussi fine, une illusion de tous les traits, ce que l’aube, la jeunesse, la solitude laissent aux grappes qui tiennent à l’arbre et aux cœurs qui n’ont pas encore aimé. Les cheveux de la jeune fille, légers et soulevés par l’air, ajoutaient à cette apparence vaporeuse. Jamais il ne lui avait vu une physionomie aussi épanouie. L’exercice, l’excitation de son joli travail, la gaieté communiquée dans toute la vigne par les appels, les chants, les rires des vendangeurs avaient transformé la tranquille ménagère de M. Rivals ; elle redevenait l’enfant qu’elle était, courait sur les pentes, portait son panier sur l’épaule, son bras relevé, son visage si pur attentif à l’équilibre