Page:Daudet - Jack, II.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de givre, et il mettait tant d’action à ses paroles, qu’il ne sentait pas le froid noir de cette matinée, ni la bise qui soufflait terriblement, coupante comme une lame. Il parlait du brave père Roudic, si bon, si aimant, si confiant, de Clarisse qui, avec tout ce qu’il fallait pour être heureuse, faisait pitié par sa pâleur, et ces yeux égarés qu’elle avait à certains moments.

— Ah ! si vous l’aviez vue ce matin, quand je suis parti. Elle était si blanche, elle avait l’air d’une morte.

Comme il parlait ainsi, l’apprenti sentait le bras du Nantais tressaillir sous le sien, ce qui lui prouva bien qu’il restait encore du cœur chez ce garçon.

— Elle ne t’a rien dit, Jack ? Bien vrai, elle ne t’a rien dit ?

— Rien, pas un mot. Zénaïde lui parlait, elle ne répondait pas. Elle n’a pas mangé. J’ai peur qu’elle soit malade.

— Pauvre femme !… dit le Nantais avec un soupir de soulagement que l’enfant prit pour de la tristesse et qui le remplit de pitié.

— En voilà assez pour une fois, pensait-il, il ne faut pas que je l’accable.

Ils approchaient du quai. Le bateau n’arrivait pas encore. Un épais brouillard couvrait le fleuve d’une rive à l’autre.

— Si nous entrions là, dit le Nantais.

C’était une baraque en planches avec des bancs à