Page:Daudet - Jack, II.djvu/201

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toi dans le cœur de mon enfant. Je n’eus pas le courage de la détromper, attendant chez elle un âge plus avancé, une raison plus solide pour qu’elle supportât mieux sa première déception… D’ailleurs, je savais bien, par l’exemple de sa mère, qu’il est des terrains si vivaces que tout ce qu’on y jette s’y enracine, s’y fortifie encore des résistances. Je sentais que tu étais enraciné dans ce petit cœur-là, et je comptais sur le temps, sur l’oubli, pour t’en arracher. Eh bien, non, rien n’y a fait. Je m’en suis aperçu le jour où, après t’avoir rencontré chez le garde, j’ai annoncé à Cécile ta visite pour le lendemain. Si tu avais vu ses yeux briller, et comme elle a travaillé toute la journée. Chez elle c’est un signe : les grandes émotions se marquent par plus d’activité, comme si son cœur, battant à coups trop précipités, avait besoin de se régulariser au mouvement de son aiguille ou de sa plume.

Maintenant, écoute-moi, Jack. Tu aimes ma fille, n’est-ce pas ? Il s’agit de la gagner, de la conquérir en sortant de la condition où l’aveuglement de ta mère t’a fait descendre. Je t’ai vu de près pendant ces deux mois, le moral et le physique vont bien. Donc voici ce qu’il faut faire : travaille pour être médecin, tu prendras ma suite à Étiolles. J’avais d’abord pensé à te garder ici, mais j’ai compté qu’il te faudrait quatre ans, en piochant ferme, pour devenir officier de santé, ce qui suffit dans nos campagnes, et, pendant ce temps, ta présence réveillerait dans le pays le triste roman que