Page:Daudet - Jack, II.djvu/219

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histoire du jambon, qu’on lui avait racontée tant de fois, sa figure perdit son expression de méfiance, elle tendit la main à Jack.

— Allons, je vois que cette fois Bélisaire ne s’est pas trompé… C’est que vous le connaissez, vous savez quelle bête à bon Dieu ça fait. Il m’a déjà amené une demi-douzaine de camarades dont le meilleur ne valait pas la corde pour le pendre. À force d’être bon, il en devient innocent. Si je vous racontais ce qu’ils lui ont fait souffrir dans sa famille ! C’était la victime, la bête de somme ; il nourrissait tout le monde et n’avait en retour que des avanies.

— Oh ! madame Weber…, dit le brave camelot, qui n’aimait pas à entendre mal parler des siens.

— Eh bien ! quoi, madame Weber ?… Il faut bien que j’explique au camarade pourquoi je vous ai séparé de toute cette race-là ; sans quoi j’aurais l’air d’avoir agi par intérêt, comme tant de femmes. Voyons, est-ce que vous n’êtes pas plus heureux maintenant que vous vivez à part et que votre travail vous profite un peu ?…

Elle continua en s’adressant à Jack :

— J’ai beau faire, on l’exploite encore, allez ! On lui envoie les plus petits, car ils sont là-dedans une ribambelle d’enfants tout frisés, qui ont déjà les doigts crochus comme ce vieux juif de papa Bélisaire. Ils viennent ici quand je n’y suis pas, et ils trouvent toujours moyen d’emporter quelque chose. Je vous dis tout cela, Jack, pour que vous m’aidiez à le défendre contre les