Page:Daudet - Jack, II.djvu/282

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naches, de broderies, d’aiguillettes, de chapeaux bordés d’hermine blanche. Et les anecdotes sur Joséphine, les mots de la maréchale Lefèvre ! Il y avait surtout une histoire que madame Lévêque racontait encore mieux et plus souvent que les autres, c’était l’incendie de l’ambassade d’Autriche, la nuit du fameux bal donné par la princesse de Schwartzenberg. Toute sa vie était restée éclairée à la lueur de cet incendie célèbre, et c’est dans sa flamme qu’elle voyait passer les maréchaux étincelants, les dames à taille haute, décolletées, coiffées à la Titus ou à la Grecque, et l’empereur en habit vert, en culottes blanches, portant dans ses bras, à travers le jardin embrasé, madame de Schwartzenberg évanouie. Avec sa manie de noblesse, Ida se trouvait bien auprès de cette vieille folle. Et pendant qu’elles étaient là, assises dans l’échoppe sombre, à faire sonner des noms de ducs, de marquis, comme des brocanteurs triant des vieux cuivres ou des bijoux cassés, un ouvrier entrait acheter un journal d’un sou, ou quelque femme du peuple, impatiente de la suite d’un feuilleton à surprise, venait voir si la livraison avait paru, donnait ses deux sous, se privant de son tabac si elle était vieille, de la botte de radis de son déjeuner si elle était jeune, pour dévorer les aventures du Bossu ou de Monte Christo, avec cet affamement de lectures romanesques qui tient le peuple de Paris. Malheureusement, madame Lévêque avait des petits-enfants tailleurs pour livrées dans le faubourg Saint-