Page:Daudet - Jack, II.djvu/69

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un de ces jolis petits châteaux qui dominent la Loire, coquets, ombragés, laissant descendre leurs futaies jusqu’au fleuve et monter leurs tourelles à la limite de l’horizon. « M. le comte, » comme l’appelaient autrefois les domestiques d’Ida, était un veuf sans enfants, excellent homme et homme du monde. En dépit de la façon un peu brusque dont elle l’avait quitté, il gardait le meilleur souvenir de la rieuse et bavarde jeune femme qui, pour un temps, avait égayé sa solitude. Aussi répondit-il à un petit mot de Charlotte qu’il était tout disposé à la recevoir.

Ils louèrent une voiture à l’hôtel et, sortant de la ville, suivirent une belle route à mi-côte. Charlotte se montrait un peu inquiète de cet acharnement du poëte à la suivre. Elle pensait :

— Est-ce qu’il va vouloir entrer avec moi ?

Malgré son ignorance des usages, elle sentait bien que ce n’était pas possible. Elle y songeait dans la voiture en admirant cette merveilleuse campagne où elle avait passé quelques années de sa vie vagabonde, où elle s’était si souvent promenée avec son petit Djack, ce bel enfant blond, élégant, maintenant ouvrier en blouse et prêt à passer la casaque des maisons de correction…

Assis à côté d’elle, d’Argenton, la regardant du coin de l’œil, mordait sa moustache avec fureur. Elle était très jolie, ce matin-là, un peu pâlie par l’émotion de la mauvaise nouvelle, la fatigue d’une nuit