Page:Daudet - Jack, II.djvu/99

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à son embouchure dans la mer. L’air devenait plus vif, les arbres diminuaient de hauteur, les deux rives s’aplanissaient en s’éloignant l’une de l’autre dans une perspective étalée, semblait-il, par le grand vent soufflant de face. Çà et là des étangs brillaient dans l’intérieur des terres, des fumées montaient au-dessus des tourbières, des milliers de goëlands et de mouettes dans un vol blanc mêlé de noir rasaient le fleuve avec leurs cris d’enfants. Mais tout cela disparaissait, perdu dans l’immensité prochaine de l’Océan, qui ne souffre aucune grandeur à côté de la sienne, comme il ne veut aucune végétation au bord de la stérilité amère de ses vagues.

Subitement le petit paquebot entra dans l’espace d’un seul bond. Comment définir autrement cette allure nouvelle de toute son armature, ce balancement que les flots, baignés d’une lumière éblouissante, libres dans une prise d’air gigantesque, semblaient continuer d’une lame à l’autre, jusqu’à la limite extrême de l’horizon, jusqu’à cette ligne verdâtre où le ciel et l’eau réunis ferment l’espace aux yeux avides ?

Jack n’avait jamais vu la mer. Cette odeur fraîche et salée, ce coup d’éventail que la marée montante dégage à chaque vague, lui mit au cœur la griserie du voyage.

Là-bas, sur la droite, avec ce resserrement de tous leurs toits que les ports de mer présentent entre les roches, Saint-Nazaire s’avançait au bord des flots, son