Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/111

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ne supporterait décidément pas les grands voyages projetés, et aussi parce qu'il comprenait bien que les vertus, les hautes aptitudes apostoliques de Mlle Châtelus ne pourraient s’exercer glorieusement dans la modeste cure du canton d’Appenzell à laquelle il se résignait.

Jeanne, sans se plaindre, sans rien laisser voir, reçut de cette basse et humiliante rupture un coup terrible. Pendant les deux mois qu’elle passa encore chez Mme de Bourlon, personne, excepté Déborah, ne connut ce changement subit de sa destinée. Elle continua à commenter sa bible, à édifier la cour des grandes, cachant désormais sous ses dehors de sérénité un écœurement profond, un mépris de l’homme et de la vie, l’abîme ouvert dans cette âme de rancune par sa première et unique déception amoureuse. La tête seule survécut au désastre, et le foyer mystique brûlant sous ce front d’illuminée. Sa religiosité s’accrut encore, mais implacable, farouche, allant aux textes désespérés, aux formules de malédiction et de châtiment. Et toujours ce rêve d’évangéliser, de sauver le monde, avec une sourde colère contre l’impuissance