Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/360

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dix-huit ans, succulente et ferme comme un beau fruit, était prise d’une terreur folle, la figure cachée dans son bras nu à la vue de l’homme qu’il fallait aimer. « J’ai peur… » disait-elle tout bas en grelottant. Et lui, plein de pitié pour cette chair blanche d’esclave à l’étal : « Rhabille-toi… tu auras l’argent tout de même. » Une autre s’est jetée à son cou, l’enveloppant d’une caresse passionnée. Celle-là, il l’aurait tuée… Décidément il n’y a pour lui qu’une femme au monde, la sienne, et elle ne veut plus. Voilà pourquoi il s’est décidé à mourir.

Oui, la mort, ressource suprême des déshérités ; et une mort enragée, féroce, vengeresse, un de ces suicides de colère qui ensanglantent de débris humains l’angle dur des trottoirs et des corniches, la grille en fers de lance des colonnes commémoratives, chassent la vie empoisonnée de misères trop cruelles, de souffrances incurables, dans un grognement et un blasphème. C’est cette mort qu’il a choisie. Il se tuera ce soir, là-bas, tout près d’elle. Mais avant, il a voulu revoir cette chambre une dernière fois.

Une grande chambre, délicatement tendue de soie gris-tendre, à peine une nuance entre les