Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/37

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dans ce style arrondi, incolore, qui a horreur du mot propre, ne doit viser qu’à une chose : parler sans rien dire. Personne ne connaissait plus à fond le formulaire des salutations hiérarchiques, comment on écrit à un président de tribunal, à un évêque, un chef de corps, un « cher ancien camarade » ; et pour tenir haut le drapeau de l’administration en face de la magistrature, son irréconciliable ennemie, et pour la passion du bureau, de la paperasse, fiches, cartons verts, registres à souches, pour les visites d’après-midi à la présidente, à la générale, débiter debout – le dos à la cheminée, en écartant ses basques – toutes sortes de phrases enveloppées, jamais compromettantes, de façon à être avec chaleur de l’avis de tout le monde, louer brutalement, contredire avec douceur, le binocle en l’air : « Ah ! permettez… » ; pour présider au son de la musique et des tambours un conseil de révision, un comice agricole, une distribution de prix, citer un vers d’Horace, une malice de Montaigne, moduler son intonation selon qu’on s’adresse à des enfants, à des conscrits, des prêtres, des ouvriers, des bonnes sœurs, des gens de campagne, bref pour