Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/100

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expressément, Védrine avait dû prendre la masse et le ciseau, travailler sous la bâche au Père-Lachaise comme un manœuvre ; enfin, après beaucoup de temps et de peine, le morceau était debout : « Et cette jeune fripouille de Paul Astier en tirera beaucoup d’honneur… » ajouta le sculpteur en souriant sans la moindre amertume. Puis il souleva un vieux tapis fermant sur la muraille un trou qui avait été une porte, et fit passer Freydet dans l’énorme vestibule au plafond de planches, garni de nattes, de tentures sur les ruines, qui lui servait d’atelier. L’aspect et le fouillis d’un hangar ou plutôt d’une cour qu’on aurait couverte, car un figuier superbe montait dans une encoignure ensoleillée, tordait ses branches aux feuilles décoratives, et tout près, la carcasse d’un calorifère éclaté simulait un vieux puits enguirlandé de lierre et de chèvrefeuille. C’est là qu’il travaillait depuis deux ans, été comme hiver, dans les brumes du fleuve tout proche, les bises glacées et meurtrières, « sans même éternuer une fois, » affirmait-il, paisible et robuste comme un de ces grands artistes de la Renaissance dont il montrait le masque large et l’imaginative fécondité. Maintenant, par exemple, il en avait de la sculpture et de l’architecture, comme s’il venait d’écrire une tragédie ! Sitôt sa figure livrée, payée, ce qu’il allait partir, remonter