Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/204

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trois heures à tuer. Il renvoya sa voiture en recommandant à Stenne de venir l’habiller au cercle, puis se mit en route à tout petits pas, dans un délicat Paris crépusculaire où les arbustes en boule du parterre des Tuileries s’allumaient de couleurs vives à mesure que le ciel s’assombrissait. Une incertitude délicieuse pour les rêveurs et les combineurs d’affaires. Les voitures diminuent. Des ombres se hâtent, vous frôlent ; on peut suivre son idée sans distraction. Et le jeune ambitieux songeait, lucidement, le sang-froid revenu. Il songeait comme Napoléon aux dernières heures de Waterloo : bataille gagnée tout le jour, puis le soir, la déroute. Pourquoi ? Quelle faute commise ? Il remettait en place les pièces de l’échiquier, cherchait sans comprendre. Une imprudence, peut-être, d’être resté deux jours sans la voir ; mais n’était-ce pas l’élémentaire tactique, après l’épisode du Père-Lachaise, de laisser la femme ruminer son petit remords. Comment se douter d’une fuite aussi brusque ? Subitement, cet espoir lui vint, connaissant la princesse, oisillon changeant d’idée comme de perchoir, qu’elle n’était pas encore partie, qu’il allait la trouver au milieu de ses préparatifs, désolée, incertaine, demandant au portrait d’Herbert : « Conseille-moi, » et qu’il la reprendrait d’une étreinte. Car maintenant il comprenait et