Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/230

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ciété s’incline encore ; mais qu’elle eût pu l’aimer, ce vidé, ce grotesque à l’âme dure, Védrine ne se l’expliquait guère. Son titre de prince ? Elle était d’aussi grande famille que lui. Le chic anglais, cette redingote sanglant ce dos de pendu, ce pantalon couleur crottin d’une si laide note entre les branches ? Fallait-il donc croire ce petit forban de Paul Astier raillant le goût de la femme vers le bas, le difforme moral ou physique !…

Le prince arrivait devant la barrière à mi-corps séparant l’allée de la prairie, et, soit méfiance de ses jambes flageolantes, soit qu’il trouvât l’exercice incorrect pour un homme aussi important, il hésitait, gêné surtout par ce grand diable d’artiste qu’il sentait derrière son dos. Il se résigna enfin au détour jusqu’à l’ouverture du barrage de bois. L’autre clignait ses petits yeux : « Va, va, mon bonhomme, tu as beau prendre le plus long, il va falloir y arriver devant la maison blanche ; et qui sait si ce n’est pas là que te sera compté le juste salaire de tes gredineries ?… car tout se paie, en définitive… » L’esprit contenté par ce soliloque, sans même poser la main sur la barrière, il la franchit d’un vigoureux coup de jarret tout à fait incorrect et vint rejoindre le groupe des témoins affairés au tirage au sort des places et des épées. Malgré le gourmé, la gravité des têtes, à les voir tous penchés vers le hasard des pièces, courant les ra-