Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/287

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Que je le déshonore, ce misérable, ma cause sera toujours assez gagnée.

— C’est égal. » dit Paul Astier reposant la liasse et faisant disparaître la lettre à m’man qui le gênait, « c’est égal ! qu’on vous ait laissé de telles preuves entre les mains… et quelqu’un d’aussi habile…

— Habile, lui ?… »

Tout ce qu’elle ne dit pas était dans son haussement d’épaules. Il continua, s’amusant à la pousser, car enfin on ne soit jamais jusqu’où peut aller le délire rancunier d’une femme : « Pourtant, un de nos meilleurs diplomates…

— C’est moi qui le grimais. Il ne sait du métier que ce que je lui en ai appris.

— Alors, la légende de Bismarck ?…

— Qui n’a jamais pu le regarder en face… Ah ! ah ! la bonne histoire … je crois bien !… on se détourne, quand il vous parle… une bouche d’égout !… »

Comme honteuse, elle mit sa figure dans ses mains, comprimant des sanglots, un râle furieux : « Dire ! dire !… douze ans de ma vie à un tel homme… À présent, il me quitte, il ne veut plus… et c’est lui !… lui !… » Son orgueil se révoltait à cette idée, et, marchant à grands pas dans la chambre, allant jusqu’au lit large et bas, drapé d’anciennes tentures, puis revenant au cercle lumi-