Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/318

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Une heure moins un quart.

Je viens de voir défiler tous mes juges, trente-sept, si j’ai bien compté ; l’Académie au grand complet, puisque Épinchard est à Nice, Ripault-Babin dans son lit et Loisillon au Père-Lachaise. Superbe, l’entrée en cour de tous ces illustres ! les jeunes, lents et graves, la tête inclinée comme sous le poids d’une responsabilité trop lourde, les vieux portant beau, la jambe vive ; quelques goutteux et rhumatisants comme Courson-Launay faisant avancer leur voiture jusqu’à l’escalier, s’appuyant au bras d’un collègue. Ils attendent avant de monter, causent par petits groupes, avec des mouvements de dos, d’épaules, de grands gestes à mains ouvertes. Que ne donnerais-je pas pour entendre cette discussion dernière de mes chances ! J’entr’ouvre doucement la fenêtre ; mais une voiture chargée de malles entre à grand fracas dans la cour, descend un voyageur en fourrures, bonnet de loutre. Épinchard, ma chère, Épinchard débarquant de Nice exprès pour m’apporter sa voix. Brave cœur !… Puis mon maître est passé, voûté sous son chapeau à larges bords, feuilletant l’exemplaire de Toute nue que je me suis décidé à lui remettre, pour le cas… Que veux-tu ? il faut se défendre !